Un visage déformé par l’angoisse, un ciel embrasé, un paysage ondulant : « Le Cri » d’Edvard Munch est une œuvre qui nous saisit et nous interpelle. Ce tableau emblématique de l’expressionnisme norvégien, peint en 1893, est devenu une icône de l’art moderne et un symbole universel de l’anxiété humaine. Plongeons ensemble dans les méandres de cette œuvre fascinante, pour en comprendre les origines, le sens profond et l’impact considérable sur l’histoire de l’art.
En bref
« Le Cri » d’Edvard Munch, réalisé en 1893, est une œuvre expressionniste représentant une figure androgyne hurlant sur un pont, avec un arrière-plan aux couleurs intenses. Il existe cinq versions connues de cette œuvre, qui symbolise l’angoisse existentielle et a profondément marqué l’art moderne. Le tableau s’inspire d’une expérience personnelle de Munch et est devenu une icône culturelle mondiale.
Contexte historique et artistique
« Le Cri » voit le jour à la fin du XIXe siècle, une époque marquée par de profonds bouleversements sociaux, scientifiques et philosophiques. L’industrialisation galopante, les théories de Darwin et les écrits de Nietzsche remettent en question les certitudes traditionnelles. Dans ce contexte, l’expressionnisme émerge comme un mouvement artistique cherchant à exprimer les émotions intérieures plutôt que la réalité objective.
Edvard Munch, né en 1863 en Norvège, est profondément influencé par ce climat intellectuel. Son enfance, marquée par la mort précoce de sa mère et de sa sœur, le confronte très tôt à l’angoisse et à la fragilité de l’existence. Ces expériences traumatisantes nourrissent son art, tout comme les œuvres de Vincent van Gogh et les théories de Sigmund Freud sur l’inconscient. « Le Cri » s’inscrit ainsi dans une démarche artistique visant à explorer les tréfonds de l’âme humaine.
Description détaillée du tableau
Au premier plan de « Le Cri », nous observons une figure androgyne au crâne chauve et au visage déformé. Les yeux écarquillés et la bouche ouverte en un cri silencieux évoquent une terreur viscérale. Ce personnage se tient sur un pont qui traverse diagonalement le tableau, créant une perspective vertigineuse.
L’arrière-plan est tout aussi saisissant. Le ciel, peint dans des tons orangés et rouges flamboyants, semble en fusion. Le paysage, composé d’un fjord et de collines ondulantes, paraît vibrer sous l’effet de lignes sinueuses. Deux silhouettes sombres et indistinctes se tiennent en arrière-plan sur le pont, contrastant avec l’agitation du personnage principal.
Version | Date | Technique | Localisation actuelle |
---|---|---|---|
1 | 1893 | Tempera sur carton | Galerie nationale d’Oslo |
2 | 1893 | Crayon et pastel sur carton | Musée Munch, Oslo |
3 | 1895 | Pastel sur carton | Collection privée |
4 | 1910 | Tempera sur carton | Musée Munch, Oslo |
5 | 1893 | Lithographie | Diverses collections |
Symbolisme et interprétations
« Le Cri » est une œuvre riche en symboles et ouverte à de multiples interprétations. Le personnage central incarne l’angoisse existentielle de l’homme moderne, confronté à un monde qui le dépasse. Le paysage tourmenté peut être vu comme une projection de l’état mental du personnage, brouillant les frontières entre le monde intérieur et extérieur.
Voici une liste des principaux symboles et leurs interprétations possibles :
- Le visage déformé : représentation de l’angoisse et de la terreur intérieure
- Le ciel rougeoyant : symbole d’un monde en mutation, potentiellement menaçant
- Le pont : métaphore du passage entre différents états de conscience
- Les silhouettes en arrière-plan : l’indifférence de la société face à la souffrance individuelle
- Les lignes ondulantes : la frontière floue entre réalité et perception subjective
L’inspiration derrière la toile
L’inspiration de « Le Cri » provient d’une expérience personnelle intense vécue par Munch. Dans son journal, il décrit une promenade au coucher du soleil qui a profondément marqué son esprit :
« Je marchais le long de la route avec deux amis. Le soleil se couchait. J’ai ressenti comme un souffle de mélancolie. Soudain, le ciel est devenu rouge sang. Je me suis arrêté, épuisé, et me suis appuyé à la balustrade. Il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir et de la ville. Mes amis ont continué à marcher, et je suis resté là, tremblant d’anxiété. J’ai senti un cri infini qui traversait la nature. »
Cette expérience quasi mystique, où Munch perçoit un « cri de la nature », devient le point de départ de son œuvre. Il cherche à traduire en peinture cette sensation d’angoisse cosmique, ce moment où l’individu se sent submergé par des forces qui le dépassent.
Impact et postérité de l’œuvre
« Le Cri » a eu un impact considérable sur l’art moderne et la culture populaire. Son influence se fait sentir dans de nombreux domaines :
Dans le monde de l’art, l’œuvre a inspiré de nombreux artistes expressionnistes et surréalistes. On peut citer Francis Bacon, dont les figures torturées font écho au personnage de Munch. En littérature, l’angoisse existentielle exprimée dans « Le Cri » trouve un écho dans les œuvres de Kafka ou Sartre.
La culture populaire s’est également emparée de cette image iconique. On la retrouve parodiée dans des films comme « Scream » de Wes Craven, ou détournée dans de nombreuses publicités. En 2012, « Le Cri » a même été transformé en emoji, devenant ainsi un symbole universel de l’anxiété à l’ère numérique.
Analyse technique et stylistique
D’un point de vue technique, « Le Cri » illustre parfaitement l’approche expressionniste de Munch. L’artiste privilégie l’expression émotionnelle à la représentation réaliste. Les couleurs vives et contrastées, appliquées en larges coups de pinceau, créent une atmosphère intense et troublante.
Munch utilise des lignes sinueuses et des formes simplifiées pour accentuer l’effet dramatique. La perspective est volontairement déformée, renforçant la sensation de vertige. La technique du « sfumato », qui consiste à estomper les contours, contribue à créer une ambiance onirique et angoissante.
Caractéristique | « Le Cri » de Munch | « La Nuit étoilée » de Van Gogh |
---|---|---|
Palette de couleurs | Oranges, rouges, bleus intenses | Bleus, jaunes, verts profonds |
Technique de pinceau | Coups larges, lignes sinueuses | Tourbillons, touches épaisses |
Représentation de la nature | Déformée, symbolique | Stylisée, dynamique |
Expression émotionnelle | Angoisse, terreur | Agitation, émerveillement |
Les différentes versions du « Cri »
Munch a réalisé plusieurs versions du « Cri », chacune apportant des nuances à l’œuvre originale :
- Version 1 (1893) : Tempera sur carton, conservée à la Galerie nationale d’Oslo. C’est la version la plus connue.
- Version 2 (1893) : Crayon et pastel sur carton, au Musée Munch d’Oslo. Les couleurs sont plus douces que dans la version à la tempera.
- Version 3 (1895) : Pastel sur carton, vendue aux enchères en 2012 pour 119,9 millions de dollars, un record à l’époque.
- Version 4 (1910) : Tempera sur carton, également au Musée Munch. Cette version tardive montre des couleurs plus sombres et une exécution plus libre.
- Version 5 (1893) : Lithographie, dont plusieurs exemplaires existent dans différentes collections. Cette version en noir et blanc accentue les contrastes et les lignes.
Controverses et anecdotes
« Le Cri » a été au centre de plusieurs controverses et événements marquants. En 1994, la version de la Galerie nationale d’Oslo a été volée, puis retrouvée quelques mois plus tard. En 2004, c’est la version du Musée Munch qui a été dérobée, avant d’être récupérée en 2006. Ces vols ont contribué à accroître la notoriété de l’œuvre et sa valeur marchande.
Une anecdote intéressante concerne une inscription mystérieuse sur la version de 1893. En 2008, des experts ont découvert, écrit au crayon sur le ciel rouge : « Ne pouvait être peint que par un fou ». On pense que Munch lui-même a ajouté cette phrase, peut-être en réaction aux critiques virulentes que l’œuvre avait suscitées à l’époque.
L’héritage artistique de Munch
« Le Cri » occupe une place centrale dans l’œuvre de Munch et dans l’histoire de l’art. Il fait partie d’une série intitulée « La Frise de la vie », qui explore les thèmes de l’amour, de l’angoisse et de la mort. Cette œuvre a contribué à établir Munch comme l’un des pionniers de l’expressionnisme et a influencé de nombreux artistes du XXe siècle.
Au-delà de son impact artistique, « Le Cri » est devenu un symbole culturel puissant. Il incarne les angoisses de l’homme moderne face à un monde en mutation rapide. Son pouvoir d’évocation reste intact plus d’un siècle après sa création, faisant de cette œuvre un pont entre l’art du XIXe siècle et les préoccupations contemporaines.